Comment apporter quelque chose de nouveau à l’un des piliers
du cinéma de science-fiction sans pour autant le dénaturer ? Comment faire une
bonne suite à une époque où Hollywood multiplie suites et remakes aseptisés
voire insultants pour l’original (Ghost In The Shell on pense à toi) ? On n’a
pas de réponse précise et définitive, mais Denis Villeneuve devait l’avoir, car
Blade Runner 2049 est un chef d’œuvre.
Un avenir sombre...
Dans Blade Runner (1982), le futur n’était pas réjouissant.
Dans une Los Angeles pluvieuse et tentaculaire où la nature avait totalement
disparu les corporations contrôlaient la vie des humains et pratiquaient
l’esclavage en fabriquant des androïdes conscients à la chaîne. Il s’en
dégageait tout de même une note d’espoir et de poésie, un sentiment que tout
n’était pas nécessairement voué à l’échec. Blade Runner 2049 est lui beaucoup
plus catégorique. 30 ans se sont écoulés, et le monde n’en est devenu que plus
hostile. Aux peurs qu’évoquait l’œuvre originelle (surveillance de masse,
asservissement) on peut ajouter la catastrophe écologique et technologique (ce
mystérieux blackout survenu des années auparavant). La société est d’autant plus divisée, la discrimination et l’esclavage que subissent les
“réplicants” sont d’autant plus institutionnalisés.
On peut ressentir ce changement d’ambiance par la différence
de ton de la bande-originale de Hans Zimmer et Benjamin Wallfisch (It, A Cure
For Life, Annabelle 2) par rapport aux compositions de Vangelis pour Blade
Runner.
...sublimé par une esthétique époustouflante
Cet environnement poisseux et étouffant est magnifiquement
mis à l’image par la caméra de Denis Villeneuve. L’abondance des plans fixes et
des travellings sur le paysage, notamment lors des nombreux déplacements de
l’agent K (Ryan Gosling) en voiture volante rendent pleinement compte de la
décrépitude de cet univers. La mégalopole de Los Angeles et ses rues crasseuses
sont constamment plongées dans la nuit, le brouillard et la pluie, tandis que
l’extérieur est vaste, désolé et post-apocalyptique.
Le travail de Roger Deakins, directeur de la photographie,
est sans aucun doute digne de l’Oscar. Entre la ville polluée éclairée aux
néons colorés des hologrammes publicitaires, le siège de la corporation Wallace
(du nom de l’antagoniste) éclairé de jaune aux lumières et reflets constamment
mouvants, ou encore la scène de combat entre Deckard (Harrison Ford) et K dans
le showroom d’un hôtel de Las Vegas éclairée par intermittence par des
hologrammes d’Elvis Presley, l’esthétique des différentes scènes ne cesse
d’ébahir et apporte du sens à l’enchaînement du scénario.
Un blockbuster sérieux et profond
Heureusement, toute cette enveloppe esthétique n’est pas
qu’une coquille vide. Si le scénario peut sembler au premier abord relativement
simple (K découvre qu’une réplicante a enfanté, cette découverte le met en
danger il part donc à la recherche du père, Rick Deckard), il n’en est rien.
Par les découvertes qu’il fait, K voit ses certitudes remises en question. Ses
souvenirs implantés sont-ils finalement vrais ? Ce doute existentiel et cette
quête de sens servent de prétexte au film pour évoquer d’autres grandes
questions métaphysiques : qu’est-ce qui fonde notre humanité ? La question
prend d’autant plus de pertinence que dans cet univers, les robots semblent
être les seuls capables d’émotion, et paraissent plus humains que l’Homme. On
pense notamment à la romance entre K et Joi (Ana de Armas), son assistante
personnelle holographique (une IA perfectionnée en somme), bien plus intime que
toutes les interactions dont sont capables les humains.
Plusieurs
commentaires reprochent à Blade Runner 2049 d’être lent. Cela nous donne envie
de réagir : lent ne signifie pas nécessairement long. Dans notre cas, les 2h40
de projection sont passées en un claquement de doigts, tant cette œuvre nous a
hypnotisés de la première à la dernière image. Une digne suite qui confirme le
talent de Denis Villeneuve, et prouve qu’il est possible de faire réfléchir
même avec un budget à 9 chiffres.