Poussiéreux, Marx ? Définitivement pas ! Dans ce biopic
historique, Raoul Peck (réalisateur, entre autres, du génialissime documentaire
I am not your negro) signe une oeuvre singulière, profondément ancrée dans
notre époque et choisit de s’attarder sur quatre années charnières qui ont
fondé la pensée de deux des plus grands philosophes du 19ème siècle.
L'histoire d'une rencontre
En 1844, Karl Marx est journaliste. Contraint de fuir la
forte censure qui sévit en Prusse, il s’installe à Paris avec sa femme Jenny von Westphalen
et continue d’écrire dans des journaux radicaux. C’est dans ce contexte qu’il
fait la connaissance de Friedrich Engels, fils d’un riche industriel allemand.
Leur entente est immédiate et évidente, dans la vie comme à l’écran.
Superbement interprétés par August Diehl et Stephan Konarske, Marx et Engels
sont jeunes, beaux, amoureux et révoltés. Ensemble, il font le pari de transformer la société car pour eux « l’heure n’est plus aux philosophes de parler du
monde, mais bien de le changer ».

Raoul Peck filme ainsi de longues séquences rythmées par les
débats sans fin qui animent les deux protagonistes et leur femme respective.
Alors que Jenny a quitté sa condition bourgeoise pour s’installer avec Karl
dans une relative pauvreté, Mary Burns, la compagne d’Engels est issue de la classe
ouvrière anglaise. De leurs conversations va émerger la doctrine qui, en
seulement quelques années, va se développer et influencer toute l’Europe.
De cette doctrine, le réalisateur prend soin de nous en
montrer la genèse. Si Marx et Engels s’opposent en premier lieu au capitalisme
bourgeois et s’indignent de la situation des classes ouvrières, ils se
distinguent aussi progressivement des idées des autres philosophes
progressistes de leur époque, notamment de Joseph Proudhon (Olivier Gourmet est
également brillant dans le rôle) dont ils font la critique dans Misère de la
philosophie (1845). Audacieux, ils nous régalent de leurs dialogues en trois
langues différentes.
Un appel citoyen
Au-delà de l’excellent jeu d’acteurs, l’intérêt de ce film
tient au fait que ce n’est pas une œuvre marxiste. En évitant la propagande,
Raoul Peck dresse cependant un constat implacable sur la situation de la classe
ouvrière en Europe à cette époque et nous fait comprendre que la révolution, ou
du moins les révoltes, étaient les seules issues possibles pour une véritable
amélioration des conditions de vie.
La vraie réussite du Jeune Karl Marx réside dans sa capacité
à ne pas être seulement un film d’époque (costumes d’époque, réalisation très
classique) mais aussi et surtout un film profondément moderne et engagé.
Il résonne en effet avec les mouvements d’indignés contemporains, où
l’exploitation par le méchant bourgeois a été remplacée par celle du système
financier.
Malgré une mise en scène peut-être trop formelle et convenue, Raoul Peck signe
donc un film dont le propos est éminemment actuel et qui semble nous crier «
Citoyens de tous les pays, révoltez-vous ! ».
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