L’affaire
Weinstein a permis cet automne de faire un grand pas dans la libération de la
parole des femmes face au harcèlement et aux agressions sexuelles dont elles
sont victimes, dans l’industrie cinématographique mais aussi dans tous les
autres domaines. Cette évolution tant attendue pourrait enfin mettre un terme à
l’impunité des personnalités publiques, qui ont pu jusque là commettre tout
acte de harcèlement, agression ou viol sans en subir les conséquences. Kevin
Spacey a ainsi été écarté de House of Cards et de Tout l’argent du Monde très
vite après que de multiples accusations aient été prononcées à son égard.
Cependant ces dernières semaines ont aussi vu la mise en
avant de deux autres artistes dont on connaît déjà les crimes : les Inrocks ont
consacré leur une du 10 octobre à Bertrand Cantat, condamné pour le meurtre de
sa compagne, et la Cinémathèque française a invité Roman Polanski, accusé pour
4 viols et jugé coupable par la justice américaine de l’un d’entre eux, pour
une avant-première de son nouveau long-métrage, “D’après une histoire vraie”.
Ces deux faits ont suscité la polémique, menant les Inrocks a publier un édito
prenant la forme d’un mea culpa, tandis que la venue de Polanski a été
perturbée par des manifestations.
L’un
des points de discorde principaux entre les militant.e.s féministes et la
position de la Cinémathèque est la dissociation de l’homme et de l’artiste. Pour
les un.e.s, il est impensable d’accorder une immunité légale et morale à des
criminels sous prétexte qu’ils produisent des oeuvres artistiques de qualité.
Pour les autres, les actes d’un auteur ne doivent pas porter préjudice au
patrimoine artistique que celui-ci a produit.
Nous
voulions dans ce petit édito vous partager notre point de vue concernant ce
sujet. Nous ne prétendons aucunement que notre avis soit le bon, et nos propos
ne sont aucunement des préconisations, n’hésitez pas à nous faire part de tout
désaccord.
On peut
d’ores et déjà effectuer une distinction entre deux catégories de personnes. On
a d’une part des individus comme Polanski ou Cantat, qui ont été condamnés pour
leurs actes, et d’autres, par exemple Kevin Spacey, sous le coup de multiples
accusations qui n’ont cependant pas encore débouché sur un procès. S’il est
vrai que la plupart des actes commis par les harceleurs et agresseurs ne
finiront jamais au tribunal, il convient de rappeler que tout individu, même si
considéré comme un monstre au regard des codes moraux qui régissent notre
société, a le droit à une application neutre de la justice. Le cas du procès de
Abdelkader Merah a récemment montré la difficulté d’échapper à la vindicte
populaire - nombreux sont ceux qui réclamaient sa mise à mort et se sont
indignés que l’avocat Dupond-Moretti ait souhaité défendre l’accusé durant le
procès.
Le même mécanisme est à l’oeuvre en ce qui concerne les
personnalités visées par des accusations d’agression sexuelle : l’évolution de
la société fait que leurs actes sont désormais considérés comme impardonnables,
et il en était temps, mais un grand nombre de personnes réclame la destruction
immédiate de toute leur carrière artistique.
Le
problème est cependant plus compliqué lorsque l’on a à faire à des artistes :
la seule contribution qu’il restera de Weinstein sera l’ancien logo de sa
société au début des films qu’il a produit, ce qui n’est pas le cas pour tous
les chanteurs, musiciens, acteurs, réalisateurs ayant produit des oeuvres
appréciées voire considérées comme des chefs d’oeuvres. Un auteur sera toujours
présent dans la société tant que ses oeuvres continueront d’exister, on ne peut
donc pas le mettre au ban aussi simplement. De plus, la qualité d’une oeuvre
diminue-t-elle à posteriori lorsque l’on découvre les actes de son auteur ? On
peut prendre pour exemple Verlaine qui était un alcoolique violent, qui battait
sa femme et a tenté de tuer sa mère et son amant, dont les poèmes sont pourtant
enseignés dans les écoles encore aujourd’hui, la qualité de son oeuvre n’étant aucunement
remise en question.
De même, dire que Noir Désir a beaucoup apporté au rock
français, que Kevin Spacey est un bon acteur ou que Polanski a réalisé des
chefs d’oeuvre ne signifie pas excuser les crimes commis par les différents
artistes. Une oeuvre artistique est certes influencée par son auteur, mais elle
n’est pas le reflet de sa personnalité, et inversement.
La
question est un peu différente lorsque l’on parle de la production artistique
d’une personne après que ses crimes aient été révélés. Il faut ici selon nous
distinguer l’artiste de la personnalité publique. Ainsi, Bertrand Cantat a
expié sa peine vis à vis de la société par le biais de son incarcération, il
est donc libre de reprendre son métier, qui consiste à créer des oeuvres musicales.
Cependant nous nous positionnons contre sa mise en avant dans les médias. Nous
pensons que les personnalités publiques sont sujettes à un devoir d'exemplarité
auquel Cantat a failli.La mise en avant de l’artiste à des fins de marketing,
ou sa glorification lors d’évènements culturels (Polanski à la Cinémathèque ou
à la présidence des César) reste pour nous un manque de respect vis à vis des
victimes, une négation de la gravité des crimes, et la création d’une impunité
des idoles. En l’absence de certitudes (c’est à dire une condamnation), on
appliquera ce même raisonnement à tous les artistes accusés mais non condamnés,
car nous sommes aussi de l’imperfection du système juridique, et qu’il n’y a
qu’un faible nombre de cas qui aboutissent à une condamnation.
Enfin, on peut préciser que l’artiste ne peut continuer de
créer qu’une fois sa peine purgée dans le cadre du système juridique, s’il est
retenu coupable. C’est pour cette raison que nous ne sommes pas allés voir le
dernier Polanski, et que nous ne nous intéresserons pas à lui.
Dans le
cadre de notre société contemporaine très médiatisée et d’un milieu culturel
industrialisé créateur de stars et autres célébrités, la question qui se pose
est plus celle de la séparation entre l’artiste et son oeuvre d’une part, et
son rôle de personnalité publique de l’autre.
Si vous
souhaitez ajouter des arguments ou nous faire part d’un autre point de vue,
n’hésitez pas à commenter ici ou à nous répondre sur Facebook et Twitter !
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